Un rideau funeste s’est tiré devant moi, et le spectacle de la vie infinie s’est métamorphosé pour moi en un tombeau éternellement ouvert. Peut-on dire : « Cela est, » quand tout passe ? quand tout, avec la vitesse d’un éclair, roule et passe ? quand chaque être conserve si peu de temps la quantité d’existence qu’il a en lui, et est entraîné dans le torrent, submergé, écrasé sur les rochers ? Il n’y a point d’instant qui ne te dévore, toi et les tiens ; point d’instant que tu ne sois, que tu ne doives être un destructeur. La plus innocente promenade coûte la vie à mille pauvres insectes ; un seul de tes pas détruit le pénible ouvrage des fourmis et foule un petit monde dans le tombeau. Ah ! ce ne sont pas vos grandes et rares catastrophes, ces inondations, ces tremblements de terre qui engloutissent vos villes, qui me touchent : ce qui me mine le cœur, c’est cette force dévorante qui est cachée dans toute la nature, qui ne produit rien qui ne détruise ce qui l’environne et ne se détruise soi-même… C’est ainsi que j’erre plein de tourments. Ciel, terre, forces actives qui m’environnent, je ne vois rien dans tout cela qu’un monstre toujours dévorant et toujours affamé.