Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bobélina, près de la fenêtre, était accrochée une cage occupée par un gros merle très-noir, mais moucheté de blanc, qui regardait de biais et en dessous ; ce qui faisait penser : « Tel maître, tel merle. » L’hôte et son visiteur eurent à peine gardé le silence trois minutes que la porte du salon s’ouvrit pour introduire la dame du logis, femme de très-haute stature, en bonnet à larges rubans qu’on lui avait reteints, selon toute apparence, dans la buanderie de la maison. Elle entra d’un pas fort grave, et tenant la tête droite comme un palmier. Tchitchikof, sans se bien demander pourquoi, chercha des traits grecs dans le visage de la dame. Pourquoi n’y aurait il pas eu dans cette chambre M. et Mme Colocotroni, par exemple ?

« C’est ma Phédoulia Ivanovna, » dit Sabakévitch.

Tchitchikof s’avança aussitôt devant Phédoulia Ivanovna pour lui baiser la main, et celle-ci, par distraction peut-être, fit un mouvement vif dans lequel cette main toucha à la fois les lèvres et les dents du monsieur, qui eut ainsi l’occasion de savoir que Mme Sabakévitch se lavait les mains dans l’eau des concombres salés, ce qui est, dit-on, très-bon pour la peau.

« Mon ange, je te recommande Pâvel Ivanovitch Tchitchikof, reprit Sabakévitch ; j’ai eu l’honneur de faire la connaissance de monsieur chez le gouverneur et chez le directeur de la poste. »

Phédoulia Ivanovna ne dit que le mot habituel de son mari : « Je vous prie, » et elle accompagna cette invitation de s’asseoir d’un mouvement de tête qui rappelle un geste familier aux comédiennes à qui il arrive de représenter les reines. Puis elle s’assit sur le divan, s’enveloppa la taille de son mouchoir de mérinos, et, de ce moment, tout en elle demeura immobile, jusqu’aux sourcils et à la prunelle de l’œil.

Tchitchikof de nouveau promena ses regards sur les parois, de nouveau admira les énormes jambes et les interminables moustaches de Kanaris, la taille athlétique de l’héroïne Bobélina, et le merle qui était tout pensif dans sa cage.