Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/250

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port ? — Dans les mains de celui qui m’emploie, le bourgeois Pimenof. — Qu’on fasse entrer Pimenof !… Tu es Pimenof ? — Je suis Pimenof. — T’a-t-il donné son permis ? — Il ne m’a donné aucun papier. — Comment as-tu osé mentir ? dit l’ispravnik avec grand renfort d’épithètes nationales. — Ah ! c’est vrai, réponds-tu crûment, je ne le lui ai pas présenté à lui, parce que je suis rentré tard ; je l’ai donné à garde au sonneur de cloches Antippe Prokhôrof, — Hé ! ici le sonneur !… T’a-t-il confié son passe-port ? — Non, je n’ai vu de lui aucune sorte de passe-port. — Encore une bourde, dit le magistrat avec un assaisonnement des termes les plus drus. Mais où est donc ton passe-port ? — Il est de fait que j’en avais un ; après cela, voyez-vous, je peux bien l’avoir égaré en route ; c’est même probable. — Mais la capote de soldat, dit le capitane avec une apostrophe de très-haut goût, pourquoi l’as-tu dérobée, ainsi que la grosse tirelire du prêtre ? — Pas du tout, réponds-tu sans faire un mouvement ; moi, je n’ai de ma vie été mêlé dans des histoires de voleurs et de voleries. — Et comment donc cette capote est-elle venue dans ton coin ? — Je l’ignore ; quelqu’un l’aura apportée là, quoi donc ! — Ah ! bestia bestia ! dit le capitane en branlant la tête et en se retournant les poignets sur les hanches… Les fers aux pieds à ce luron-là, et… en prison ! — À vos ordres ! charmé qu’il vous plaise ainsi, » réponds-tu sans vestige d’abattement ; et tu fais plus, tu retires d’une poche profonde ta tabatière, et tu offres tout galamment une prise à deux grands diables d’invalides occupés à te river le brodequin ; tu demandes à ces braves gens depuis quand ils ont été réformés, et à quelles affaires ils ont été. Tu vis ensuite assez paisiblement dans la prison, pendant que le greffe achève de régler ton affaire. Le tribunal ordonne ton transfert de la prison de Kokchaïsk à celle de Bounaïsk ; le tribunal de Bounaïsk se décide, au bout de onze mois, à te transférer à Véciègonsk, d’où dans une quatrième et enfin dans une cinquième prison ; là tu dis en regardant ton nouveau manoir : « À le bien prendre, ce n’est ni mieux ni pis ; à Véciègonsk c’était plus propre et