Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHANT III.

MADAME KOROBOTCHKINE[1].


Heureuse disposition d’esprit du héros en s’éloignant de la maison de Manîlof. — Séliphane non moins satisfait ; ses longs discours adressés aux chevaux. — Le héros finit par s’apercevoir que son automédon est ivre. — Un ouragan. — Séliphane se jette dans les premiers chemins venus. — Pluie battante. — Fondrières. — L’équipage verse. — Reproches et menaces. — Soumission modeste du délinquant. — Un chien aboie, bon présage. — L’équipage relevé est lancé au petit bonheur, à fond de train, et arrive à une maison habitée. — Notre héros est reçu et installé pour la nuit chez une vieille dame campagnarde qui le prend pour un riche colporteur pratiquant une foule d’industries. — Le lendemain, en s’éveillant, le héros reconnaît à divers signes que la dame jouit d’une grande aisance. — Il lui propose d’acheter ses Âmes mortes. Il y réussit à force d’éloquence. — Espérances dont se berce la vieille dame. — Le héros part à la recherche de la grande route, guidé par une petite fille du village. — Il la renvoie contente dès qu’il a aperçu les toits d’une auberge.


Tchitchikof, tapi au fond de sa britchka dans une bonne et joyeuse disposition d’esprit, roulait depuis longtemps sur la grande route. D’après ce qu’on a lu dans le précédent chapitre, on sait maintenant quel était l’objet essentiel de ses goûts et de ses aspirations, et on ne sera pas, je crois, fort étonné d’apprendre qu’il se soit bientôt laissé absorber corps et âmes dans la méditation d’une entreprise qui demandait vigilance, activité, discrétion, habileté et souplesse. Les suppositions, les projets, les combinaisons à varier selon les lieux et les individus, les incidents à prévoir passaient sur son visage, et leur résultat probable

  1. Ou : karabotchka, corbillon, panier, hotte, carton ; étui de contre-basse, appellation typique ; la dame à qui l’applique le poëte est sans doute une fée Carabosse, dont la tournure rappelle peut-être une chiffonnière, sa hotte sur le dos. C’est ainsi que les scomorohki russes rappellent les scaramouches de l’Occident.