Page:Gogol - Nouvelles choisies Hachette - Viardot, 1853.djvu/142

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gent mat, semblait penser. Des sourcils fins, égaux et fiers, s’élevaient en s’arrondissant au-dessus de ses yeux fermés, dont les cils touchaient légèrement les joues, que semblait colorer un désir vague. Ses lèvres allaient sourire ; mais, en même temps, le philosophe discernait dans ces mêmes traits quelque chose d’effrayant. Il sentait son âme se resserrer avec angoisse, comme si tout à coup, au milieu d’une foule qui danse au son d’une musique joyeuse et bruyante, quelqu’un se fût mis à psalmodier un chant d’enterrement. Il lui semblait que du sang de son cœur se teignaient les rubis des lèvres de la morte. Tout à coup il saisit une ressemblance terrible :

— La sorcière ! — s’écria-t-il d’une voix étranglée.

Il pâlit, chancela, et se mit à marmotter ses prières, sans lever les yeux. C’était bien la sorcière qu’il avait tuée.

Au coucher du soleil, on porta le cercueil à l’église. Le philosophe soutenait sur son épaule un des coins de la bière, couverte de drap noir, et il lui semblait sentir sur cette épaule quelque chose de froid comme la glace. Le centenier marchait en avant, soutenant aussi d’une main l’un des côtés de la dernière demeure faite à sa fille. Toute noircie, toute couverte de mousse verdâtre, et portant trois petites coupoles en forme de cônes, l’église en bois se dressait tristement à l’un des bouts du village.