Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/187

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lui, chantant ses exploits de Cosaque ; il contemplait tout d’un œil sec et indifférent ; une douleur inextinguible se lisait sur ses traits immobiles et sa tête penchée ; il disait à voix basse :

— Mon fils Ostap !

Cependant, les Zaporogues s’étaient préparés à une expédition maritime. Deux cents bateaux avaient été lancés sur le Dniepr, et l’Asie Mineure avait vu ces Cosaques à la tête rasée, à la tresse flottante, mettre à feu et à sang ses rivages fleuris ; elle avait vu les turbans musulmans, pareils aux fleurs innombrables de ses campagnes, dispersés dans ses plaines sanglantes ou nageant auprès du rivage. Elle avait vu quantité de larges pantalons cosaques tachés de goudron, quantité de bras musculeux armés de fouets noirs. Les Zaporogues avaient détruit toutes les vignes et mangé tout le raisin ; ils avaient laissé des tas de fumiers dans les mosquées ; ils se servaient, en guise de ceintures, des châles précieux de la Perse, et en ceignaient leurs caftans salis. Longtemps après on trouvait encore, sur les lieux qu’ils avaient foulés, les petites pipes courtes des Zaporogues. Tandis qu’ils s’en retournaient gaiement, un vaisseau turc de dix canons s’était mis à leur poursuite, et une salve générale de son artillerie avait dispersé leurs bateaux légers comme une troupe d’oiseaux. Un tiers d’entre eux avaient péri dans les profondeurs de la mer ;