Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/123

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Tel fut le plan adopté ; si je ne le combattis pas à outrance, il n’eut pas mon entière approbation.

La première fois que M. Thornhill vint nous voir, mes filles eurent soin d’être absentes pour laisser à leur mère l’occasion d’exécuter son projet ; elles se tinrent dans la chambre voisine d’où elles pouvaient entendre toute la conversation. Ma femme l’engagea d’une manière assez adroite. « M. Spanker, dit-elle, me semble un fort bon parti pour l’une des miss Flamborough. — Je le pense, dit le Squire. — Celles qui ont une dot bien ronde sont toujours sûres de trouver de bons maris ; mais Dieu soit en aide aux filles qui n’ont rien. Beauté, vertu, qualités de toute espèce, que signifie tout cela, monsieur Thornhill, dans ce siècle d’égoïsme et d’intérêt ? On ne demande pas. Quelle est-elle ?… Qu’a-t-elle ? est le cri général. — J’approuve complétement votre réflexion, madame ; elle est juste autant que nouvelle. Si j’étais roi, il en serait tout autrement ; mon règne, je vous l’assure, serait le bon temps des filles sans dot, et vos deux jeunes ladies seraient les premières dont je m’occuperais.

— Ah ! monsieur, vous aimez à rire ! Si j’étais reine, moi, je sais bien où ma fille aînée irait chercher un mari. Mais, puisque vous m’y avez fait songer, sérieusement, monsieur Thornhill, ne pouvez-vous m’enseigner un bon mari pour elle ? Elle a, en ce moment, dix-huit ans ; elle est bien formée, bien élevée, et, dans mon humble opinion, elle n’est pas sans mérite.

— Si j’en avais le choix, madame, je voudrais trouver une personne assez accomplie pour faire le bonheur de cet ange ! un homme réunissant sagesse, fortune, goût, sincérité… Voilà, madame, le mari qu’il lui faudrait. — Oui ; mais en connaissez-vous un de cette espèce ? — Non, madame ; impossible de trouver un homme qui soit digne d’être son mari : c’est un trop grand trésor pour qu’un homme le puisse posséder, c’est une divinité. Sur mon âme, je le dis comme je le pense,