Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/144

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Toutefois ceux-là seuls consentent à se mouvoir dans le tourbillon d’un homme puissant qui sont nés pour être esclaves ; espèce de rebut de l’humanité dont le cœur et l’éducation sont façonnés à la servitude et qui ne connaît de la liberté que le nom. Mais toujours il reste, en dehors de la sphère d’activité du riche, un grand nombre d’individus, sorte de classe moyenne entre l’opulence et l’extrême pauvreté, trop riches pour subir le servage d’un voisin puissant, et cependant trop pauvres pour prétendre à la tyrannie. C’est dans cette classe moyenne qu’il faut tout chercher, arts, sciences, vertus sociales. Cette classe est, on le sait bien, le véritable gardien de la liberté ; seule elle peut être appelée le peuple.

« Maintenant, il peut arriver que, dans un État, cette classe moyenne perde toute son influence et que sa voix soit, pour ainsi dire, absorbée dans celle de la foule ; car si la fortune, jugée suffisante aujourd’hui pour qu’un individu ait droit de voter dans les affaires de l’État, est dix fois moindre qu’à l’origine de la constitution, évidemment grand nombre de ceux qui étaient alors la foule se trouvent admis dans le système politique, et, emportés dans le tourbillon du puissant, vont où les pousse la puissance. Dans cet État, conséquemment, tout ce qui reste à faire à la classe moyenne est de veiller, avec la plus religieuse circonspection, au maintien des prérogatives et des privilèges de ce pouvoir, régulateur principal du système ; car c’est lui qui divise le pouvoir du riche, et l’empêche de peser dix fois plus sur la classe moyenne placée au-dessous de lui. La classe moyenne ressemble à une ville dont les riches font le siège, et au secours de laquelle le gouverneur accourt du dehors. Tant que les assiégeants ont à redouter une surprise, tout naturellement, ils font à la ville les propositions les plus séduisantes ; ils la flattent par de grands mots ; ils l’amusent par des privilèges ; mais qu’ils mettent une fois en déroute le gouverneur qui menace leurs derrières, les murs de la ville ne sont plus qu’une faible