Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/183

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séduit d’abord les yeux de son sauveur ; sa vertu gagna bientôt le cœur de l’étranger. Ils se marièrent ; le jeune époux s’éleva aux postes les plus éminents ; ils vécurent longtemps ensemble, et furent heureux. Mais la fortune d’un soldat ne peut être éternelle. Au bout de quelques années, les troupes qu’il commandait ayant essuyé un échec, il fut obligé de se réfugier dans la ville où il avait habité avec sa femme ; on les y assiégea, et, à la fin, la ville fut prise. Il y a peu d’exemples des cruautés que les Français et les Italiens exerçaient, à cette époque, les uns envers les autres. Cette fois, les vainqueurs résolurent de mettre à mort tous les Français prisonniers, surtout le mari de l’infortunée Mathilde, qui avait, plus que tous les autres, contribué à traîner le siège en longueur. Ces résolutions étaient, en général, aussitôt exécutées que prises. Le guerrier captif fut amené ; le bourreau, son épée à la main, était prêt à frapper, et les spectateurs, dans un morne silence, attendaient le coup fatal, suspendu seulement jusqu’à ce que le général, qui présidait comme juge, donnât le signal de l’exécution. Ce fut dans cet intervalle d’angoisse et d’attente que Mathilde parut pour dire un dernier adieu à son époux et à son libérateur, déplorant son affreuse position et la cruauté du sort qui ne l’avait sauvée d’une mort prématurée, dans les flots du Vulturne, que pour la réserver à des maux cent fois plus horribles. Le général, qui était un jeune homme, fut surpris de sa beauté et touché de son malheur ; mais cette émotion devint bien plus vive quand il lui entendit faire le récit des dangers qu’elle avait courus. C’était son fils, l’enfant pour lequel elle avait affronté un si grand péril ; il la reconnut pour sa mère et tomba à ses pieds. Le reste se devine sans peine ; le prisonnier redevint libre, et tous les trois jouirent de tout le bonheur que peuvent donner sur terre l’amour, l’amitié et le devoir. »

Voilà comment je cherchais à distraire ma fille ; mais elle ne m’écoutait qu’avec peu d’attention ; car ses propres malheurs absorbaient