Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/203

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— Vous devez, j’imagine, être bien heureux de voir toute cette petite famille réunie autour de vous !

— Heureux ! monsieur Jenkinson, oh ! oui, j’en suis heureux, et, pour tout au monde, je ne voudrais pas m’en séparer ; car, avec eux, un cachot peut paraître un palais. Il n’y a au monde qu’un moyen de troubler mon bonheur ; c’est de leur faire du mal.

— En ce cas, monsieur, j’ai bien peur d’être un peu coupable à vos yeux ; car voici, je crois (Jenkinson regardait Moïse), une personne à laquelle j’ai joué un mauvais tour que je la prie de me pardonner. »

Moïse reconnut à l’instant sa voix et ses traits, quoiqu’il ne l’eût vu, la première fois, que déguisé, et, lui prenant la main, il lui pardonna avec un sourire. « Mais, ajouta-t-il, à quoi aviez-vous jugé, sur ma figure, que j’étais de l’étoffe dont on fait les dupes ? J’en suis encore tout surpris.

— Ce qui m’avait enhardi, mon cher monsieur, ce n’était pas votre figure ; c’étaient vos bas blancs et le ruban noir qui nouait vos cheveux. Mais ne vous en veuillez pas à vous-même ; j’ai, dans mon temps, dupé plus fin que vous ; et pourtant, malgré toutes mes fourberies, les niais ont fini par être trop forts pour moi.

— Le récit d’une vie comme la vôtre, reprit Moïse, doit, je m’imagine, être bien instructif et bien amusant !

— Ni l’un ni l’autre, répliqua Jenkinson. Tous ces récits des ruses et des vices de notre espèce, en nous rendant plus soupçonneux ici-bas, nous retardent d’autant. Le voyageur qui se méfie de chaque passant qu’il rencontre et rebrousse chemin à l’aspect de chaque individu auquel il trouve la mine d’un voleur, ne peut arriver à temps au terme de sa course.

« Oui, d’après ma propre expérience, je trouve que, sous le soleil, l’esprit est la plus sotte chose. Dès ma plus tendre enfance, j’ai passé, moi, pour une fine mouche ; à sept ans j’étais, disaient les femmes, un