Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/215

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cette perspective charme mes souffrances ; je laisse après moi des orphelins sans ressource ; mais ils ne seront pas tout à fait abandonnés. Quelque ami peut-être les assistera pour l’amour de leur pauvre père ; quelque main charitable les secourra pour l’amour de leur père céleste. »

Je parlais encore quand ma femme, que je n’avais pas vue ce jour-là, entra, l’œil hagard, et faisant d’inutiles efforts pour parler. « Pourquoi, ma chère amie, lui dis-je, pourquoi redoubler ainsi mon affliction par la vôtre ? Je le sens, pas de soumission qui puisse fléchir un maître cruel ; il m’a condamné à périr dans ce séjour de misère ; nous avons perdu une fille chérie ; mais quand je ne serai plus, vous trouverez encore de la consolation dans vos autres enfants ! — Oui ! me répondit-elle, nous avons perdu une fille chérie ! Ma Sophie, ma pauvre Sophie !… partie… arrachée de nos bras, enlevée par des misérables !

— Comment ! madame, s’écria Jenkinson ; miss Sophie enlevée par des misérables ! cela ne se peut pas ! »

Un regard fixe, un torrent de larmes furent toute sa réponse. Mais la femme d’un détenu, qui se trouvait là et qui venait d’entrer avec elle, nous donna plus de détails. Elle nous apprit que, pendant que ma femme, ma fille et elle se promenaient sur la grande route, un peu en avant du village, une chaise de poste à deux chevaux vint droit à elles et s’arrêta tout court ; puis un homme bien mis, mais qui n’était pas M. Thornhill, sautant de la chaise, saisit ma fille par le milieu du corps, l’entraîna dans la voiture, donna ordre au postillon de partir, et en un moment ils disparurent.

« Maintenant, m’écriai-je, la mesure de mes malheurs est comblée, et rien au monde ne peut ajouter à ma souffrance. Quoi ! pas une ! ne pas m’en laisser une !… Le monstre ! l’enfant qui m’était la plus chère ! elle, belle comme un ange, sage presque comme un ange !… Mais soutenez cette femme, ne la laissez pas tomber… Ne pas m’en