Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/218

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« Notre régiment a reçu contre-ordre ; il ne sortira pas du royaume. Le colonel, qui se dit tout haut mon ami, me présente dans toutes les maisons qu’il fréquente, et quand, après ma première visite, j’y retourne seul, je m’aperçois que je suis reçu avec plus d’égards encore. J’ai dansé, hier au soir, avec lady G… et, si je pouvais oublier vous savez qui… j’aurais ici, je crois, tout le succès imaginable. Mais c’est ma destinée de toujours songer aux absents, quand presque tous m’oublient moi-même, et j’ai bien peur, monsieur, d’être obligé de vous compter au nombre de ces amis oublieux ; car j’ai longtemps attendu de vous une lettre qui m’eût fait grand plaisir… mais j’ai vainement attendu. Olivia et Sophie m’avaient aussi promis de m’écrire ; elles m’ont, il paraît, oublié. Dites-leur que ce sont deux vilaines petites carognes, et que je suis en ce moment furieux contre elles. Je voudrais gronder ; mais je ne sais comment mon cœur ne s’ouvre qu’à de douces émotions ; dites-leur donc que, malgré tout, je les aime tendrement, et croyez que je serai toujours


Votre respectueux fils. »


« Dans tous nos malheurs, repris-je, combien nous devons remercier le ciel de ce que l’un de nous au moins en est exempt. Que le ciel lui soit en garde, qu’il lui conserve assez de bonheur pour être le soutien de sa mère veuve, le père de ces deux enfants ! Car voilà tout le patrimoine que je puis maintenant lui laisser. Puisse-t-il préserver leur innocence des tentations de la misère, et les guider dans le chemin de l’honneur ! »

Je finissais à peine, quand, de la prison au-dessous, nous crûmes entendre un bruit confus. Ce bruit cessa un moment ; puis un cliquetis de fers retentit dans le corridor qui conduisait à ma prison ; puis le geôlier entra, tenant un homme tout sanglant, blessé, chargé des