Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/217

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bénît, s’il avait un cœur d’homme, de faire rendre prompte justice à son père, à sa sœur ; je le pressais de nous venger. Mais, grâce mille fois à celui qui règle toutes ces choses ; ma lettre s’est égarée ; je suis tranquille. — Femme, lui dis-je, vous avez fait là une grave faute ; en toute autre circonstance, mes reproches eussent été bien plus sévères. À quel épouvantable abîme vous venez d’échapper ! il vous eût dévorés, vous et votre fils, et dévorés pour jamais ! Oui ! la Providence a fait pour nous mieux que nous-mêmes ; elle l’a sauvé ce fils, pour qu’il serve de père, de protecteur à mes enfants quand je ne serai plus. Tout à l’heure je prétendais qu’il n’y avait plus de bonheur pour moi ; oh ! ma plainte était bien injuste ; car j’apprends que George est heureux, qu’il ignore nos chagrins, que le ciel le tient en réserve pour soutenir sa mère dans son veuvage, pour protéger ses frères et ses sœurs. Mais quelles sœurs lui restent ? Il n’a plus de sœurs ; elles sont bien loin d’ici… on me les a ravies ; c’en est fait de moi !… » Moïse m’interrompit : « Permettez-moi, je vous prie, mon père, de vous lire cette lettre ; je sais qu’elle vous fera plaisir. » Et, sur ma permission, il lut ce qui suit :


« Très-honoré monsieur,

« Mes regards se sont un moment détournés des plaisirs qui m’entourent pour se fixer sur quelque chose de plus doux encore, le toit paternel avec son humble et si cher coin du feu. Mon imagination me représente ce groupe naïf qui écoute, dans le plus profond silence, chaque ligne de cette lettre. Je contemple avec délices ces figures sur lesquelles n’a point passé la main flétrissante de l’ambition ou du malheur ; mais, si heureux que vous puissiez être dans votre paisible retraite, vous le serez, je n’en doute pas, un peu plus encore d’apprendre, que, loin d’elle, moi aussi je m’applaudis de ma situation nouvelle, moi aussi je suis heureux.