Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/29

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mendiant, un aventurier, un fou, tranchons le mot, un misérable. On ramassera dans d’ignobles et indécentes satires quelques méchantes anecdotes évidemment controuvées, et on s’écriera fièrement : — Voilà celui que nous avons rebuté, humilié, navré de nos mépris, celui que nous avons réduit à la misère et au désespoir, le véritable Goldsmith ! Et si notre sévérité n’a pas été désarmée par la grâce de son esprit, par le charme touchant de ses inventions, par la pureté même de sentiments et de principes qui brille dans tous ses écrits, c’est que nous sommes avant tout des gens moraux et austères, qui ne pensent pas que le génie puisse tenir lieu de compensation à la vertu. — Détestable hypocrisie !

Moi aussi je suis peu disposé à l’indulgence pour des fautes graves, qui prétendent se couvrir de l’excuse du talent ! Moi aussi, je repousse avec indignation cette compensation impie qui affranchit un grand homme du devoir d’être un honnête homme ! Je vais plus loin : je suis convaincu que cette alliance imaginaire de la perversité des mœurs et de l’élévation du génie a toujours été une chose impossible. De l’esprit, de l’imagination, un savoir immense, une facilité inépuisable, une énergie qui ne se rebute jamais, tout cela peut, hélas ! se trouver dans un méchant. Ce qui est défendu par la nature à un méchant, c’est de sentir, c’est d’aimer, c’est de se faire aimer de ceux qui aiment, c’est de contrefaire l’émotion d’une âme pure, c’est d’imiter le cri du cœur. Réunissez en un seul écrivain tous les méchants qui ont eu de la gloire, il n’y en a malheureusement que trop ! je le mettrai au défi de faire le Vicaire de Wakefield, ou rien qui y ressemble. Presque tous les