Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trouve, valent un million : J’ai été jeune, et maintenant je suis vieux ; mais je n’ai jamais vu le juste abandonné ni sa postérité mendiant son pain. Que ces paroles soient ta consolation, quand tu seras en chemin. Va, cher enfant ; quoi qu’il t’arrive, reviens me voir une fois chaque année : aie bon courage… Adieu ! » Comme il y avait chez lui probité et honneur, je n’éprouvai aucune inquiétude en le lançant, tout nu, sur le théâtre de la vie : succès ou chute, je savais qu’il prendrait un bon rôle.

Son départ ne fit que préparer la voie pour le nôtre, qui eut lieu peu de jours après. Quitter ce voisinage où nous avions joui de tant d’heures de calme !… Ce ne fut pas sans une larme que le courage lui-même avait peine à retenir. Et puis, un voyage de soixante-dix milles !… pour une famille qui n’était jamais allée à plus de dix milles de chez elle, c’était l’objet de cent frayeurs qu’augmentaient encore les cris des pauvres qui nous accompagnèrent quelques milles.

Notre premier jour de marche nous mena, sains et saufs, à trente milles de notre future retraite, et nous nous arrêtâmes, pour la nuit, dans une obscure auberge d’un village de la route. Dès qu’on nous eut montré notre chambre, je priai notre hôte, comme j’en avais l’habitude, de nous honorer de sa compagnie : il accepta volontiers, sa consommation personnelle devant grossir d’autant la carte du lendemain.

Il connaissait tout le voisinage au milieu duquel j’allais m’établir, particulièrement le squire Thornhill, que j’allais avoir pour propriétaire, et qui habitait à peu de milles de là : Un gentleman, disait-il, qui ne veut connaître, du monde, tout juste que ses plaisirs ; surtout un grand amateur du beau sexe ! Pas de vertu qui puisse tenir contre ses assiduités et sa rouerie, et on ne trouverait pas aisément, à dix milles à la ronde, une fille de fermier qui ne l’ait vu heureux et infidèle ! Ces détails me faisaient de la peine ; mes filles, au contraire, paraissaient toutes radieuses de l’attente d’une victoire prochaine, et