Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/45

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débris de ma fortune ; toutes créances réunies, toutes dettes payées, de quatorze mille livres sterling nous étions réduits juste à quatre cents. Ma grande affaire était donc maintenant d’amener l’orgueil de ma famille au niveau de sa position ; car je sentais bien que l’indigence fastueuse est le pire de tous les maux. « Mes enfants, leur dis-je, vous ne pouvez ignorer que de notre part aucune prudence n’aurait pu prévenir notre dernier malheur ; mais la prudence peut beaucoup pour en neutraliser les effets. Nous sommes pauvres maintenant, mes bons amis, et la sagesse nous commande de nous résigner à notre humble sort. Adieu donc, sans regret, à tout cet éclat qui fait le malheur de tant de gens ; conservons, dans une position plus modeste, ce calme avec lequel tout le monde peut être heureux. Le pauvre vit gaiement sans notre aide ; pourquoi, à notre tour, ne pourrions-nous apprendre à vivre sans l’aide des autres ? Non, mes enfants : à partir de ce jour, plus de prétention d’aucune espèce aux allures du grand monde. Il nous reste encore assez pour le bonheur si nous sommes sages ; demandons à la paix de l’âme ce que nous ôte la fortune. »

Mon fils aîné avait fait de bonnes études : je pris le parti de l’envoyer à Londres, où ses talents pouvaient être mis à profit pour nous et pour lui-même. La séparation !… pour des amis, pour une famille, c’est peut-être une des suites les plus cruelles de la pauvreté. Il arriva bientôt le jour où, pour la première fois, nous allions nous quitter. Mon fils, après avoir pris congé de sa mère et du reste de la famille, qui mêlait ses larmes à ses embrassements, vint me demander ma bénédiction. Je la lui donnai du plus profond de mon cœur : c’était, avec cinq guinées que j’y ajoutai, tout le patrimoine qu’en ce moment je pouvais lui offrir. « Mon ami, lui dis-je, tu vas à Londres, à pied, comme ton grand aïeul, Hooker, y est allé avant toi. Tiens, prends le cheval que lui donna le bon évêque Jewel, le bâton que voici ; prends aussi ce livre, il sera ton soutien en route : ces deux lignes, qu’on y