Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de leur haute distinction. Depuis, j’ai su que les jurons sont tout à fait passés de mode. Au reste, leur riche parure jetait un voile sur la trivialité de leur conversation. Mes filles semblaient voir leurs avantages avec un œil d’envie : leurs évidentes inconvenances ! — Chez des femmes de qualité, toutes paraissaient le suprême bon ton.

Mais tous les autres avantages de ces dames étaient encore au-dessous de leur complaisance. L’une d’elles fit la remarque que, si miss Olivia avait un peu plus vu le monde, elle y gagnerait infiniment ; l’autre ajouta qu’un seul hiver à la ville ferait tout autre chose de la petite Sophie. Ma femme appuya très-chaudement l’un et l’autre avis : elle assura qu’elle ne désirait rien avec tant d’ardeur que de donner à ses filles le poli d’un seul hiver. Je ne pus m’empêcher de répondre que leur ton était déjà au-dessus de leur fortune, et que plus de recherche ne servirait qu’à rendre leur pauvreté ridicule, et à leur donner le goût de plaisirs auxquels elles ne devaient pas prétendre. « Et à quels plaisirs, dit M. Thornhill, ne doivent pas prétendre des femmes qui ont elles-mêmes tant à donner ? Pour mon compte, ajouta-t-il, ma fortune est assez belle. Amour, liberté, plaisir : voilà ma devise ! Mais, Dieu me damne ! si le don de moitié de ma propriété peut être agréable à ma charmante Olivia, elle est à elle : le seul prix que je demande, c’est la permission de m’offrir moi-même par-dessus le marché ! » Je n’étais pas assez étranger à ce monde pour ne pas deviner que ce n’était là qu’une rouerie de bel air dont se couvrait l’effronterie de la plus infâme proposition : mais, faisant un effort pour maîtriser ma colère : « Monsieur, lui dis-je, la famille que vous voulez bien, en ce moment, honorer de votre présence, a de l’honneur un sentiment aussi vif que vous. Toute tentative de blesser ce sentiment peut avoir les plus fâcheuses conséquences. L’honneur, monsieur, est tout ce qui nous reste aujourd’hui, et nous devons avoir de ce dernier trésor un soin particulier. »