Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/82

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Je me reprochais déjà la chaleur que j’avais mise à cette espèce de mercuriale, quand le jeune gentleman, me serrant la main, me jura qu’il appréciait ma délicatesse, bien qu’il désapprouvât mes soupçons. « Quant à ce qui vous préoccupe en ce moment, ajouta-t-il, rien, je le déclare, n’est plus loin de mon cœur que pareille pensée ; non, de par toutes les tentations de ce monde, vertu qui exige un siège en règle n’a jamais été de mon goût ; car mes amours ont toutes été l’affaire d’un coup de main. »

Les deux dames, qui affectaient de ne pas comprendre le reste, parurent extrêmement choquées de la liberté de ce dernier propos, et entamèrent un dialogue très-discret et très-sérieux sur la vertu. Nous y prîmes part, ma femme, le chapelain et moi. Le Squire lui-même fut, à la fin, obligé de confesser une velléité de regret de ses excès passés. Nous parlâmes des plaisirs de la tempérance, et de la sécurité d’une âme que n’a pas souillée le crime. J’étais si ravi, que nos deux marmots furent retenus au milieu de nous plus tard qu’à l’ordinaire, pour profiter de cette édifiante conversation. M. Thornhill alla même plus loin que moi, et me demanda si je voulais bien faire la prière. J’y consentis avec joie, et, de cette façon, la soirée se passa le mieux du monde, jusqu’au moment où la compagnie songea enfin à se retirer.

Les dames parurent désolées de quitter mes filles, pour lesquelles elles avaient conçu un attachement tout particulier : toutes deux me supplièrent de leur accorder le plaisir de les emmener chez elles. Le Squire appuya cette demande : ma femme y joignit ses instances, et les regards d’Olivia et de sa sœur me disaient : Laissez-nous partir. Deux ou trois excuses, que je hasardai dans mon embarras, furent à l’instant écartées par mes filles, en sorte qu’à la fin je me vis dans la nécessité de refuser net. Je n’y gagnai, pour tout le lendemain, que des regards boudeurs et des réponses sèches.