Page:Goncourt, L'Italie d'hier, 1894.djvu/50

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trois marches, où un souverain, un doge, en calotte, — le corno, peut-être, — en manteau de drap d’or, entouré de sa cour, a devant lui un ambassadeur à genoux, tandis qu’un interprète lit une lettre de présentation.

Sur la seconde marche du portique, en compagnie d’une autruche, un singe habillé et encapuchonné de pourpre, croque un citron.

Un tableau de la vie réelle de la vieille Venise, et qui, sous le pinceau du peintre-poète Carpaccio, a quelque chose d’un pays de fantaisie, d’un monde de son imagination, où le moyen âge de l’Europe se mêle à l’Orient, ainsi que dans toute la suite de ses toiles, étalées là, et où reviennent toujours sur le pâle azur du ciel, des drapeaux, des enseignes, des banderoles, et des dômes, et des campaniles, et des clochers, et des rochers bizarres hérissés de forteresses étranges. Et c’est encore, sur l’eau limpide et morte, des galères pavoisées, et la flotte des gondoles, recouvertes de tapis d’Orient, où sont des femmes sans sourire, aux chevelures ardentes semées de perles, dans les robes de pourpre brodées d’or, près de petits chiens blancs, qui ont l’air de pelotes de peluche — flotte de gondoles, manœuvrées par ces gondoliers vêtus de couleurs voyantes, du milieu desquels se détache ce musculeux nègre, à la toque rouge, à la torsade blanche, en glands de sonnette autour du cou, au pourpoint