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MURANO.

Sur toutes les portes du canal désert, où dorment au soleil, les barques et l’eau, des petites filles à la robe dégrafée, à la chevelure folle — quelques-unes ont les cheveux si noirs, qu’ils semblent bleus — et des marmots débraillés se tenant, en des poses ratatinées, les mains sur des gueux. — Des hardes qui sèchent, des chats roux se tenant dans l’angle d’une fenêtre, comme sur un théâtre de Guignol, des chiens, des caniches, graves et pieusement silencieux, comme ceux en pierre qui gardent une tombe du Moyen-Âge, et dont le silence, en cet endroit mort, autrefois si bellement, si richement, si artistiquement ouvrier, semble, par moments, aboyer : Sic transit gloria mundi. Au DÔME, sur des bancs, disparues dans leurs châles, des femmes vautrées en des poses ravies, et comme saintement évanouies.

Derrière l’abside de l’église byzantine, sur un mur blanc, que le soleil d’hiver illumine, deux hommes gras, sans âge, ressemblant à de vieux cabots, s’escriment, se démènent, se battent dans du rouge, comme des bœufs dans de la pourpre. Ce sont les sacristains qui passent leurs souquenilles.