Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/41

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ton mari et toi, vous ne faites rien ce soir ? Je reste à manger votre fricot. » À huit heures régulièrement, elle se levait ; et quand le mari prenait son chapeau pour la reconduire, elle le lui faisait tomber des mains avec un : « Allons donc ! mon cher, une vieille bique comme moi !… Mais c’est moi qui fais peur aux hommes dans la rue… » Et puis on restait dix jours, quinze jours sans la voir. Mais arrivait-il un malheur, une nouvelle de mort, une tristesse dans la maison ; un enfant tombait-il malade, Mlle  de Varandeuil l’apprenait toujours à la minute, on ne savait d’où ; elle arrivait en dépit de tout, du temps et de l’heure, donnait un grand coup de sonnette à elle, — on avait fini par l’appeler « le coup de sonnette de la cousine, » — et en une minute débarrassée de son parapluie qui ne la quittait pas, dépêtrée de ses socques, son chapeau jeté sur une chaise, elle était toute à ceux qui avaient besoin d’elle. Elle écoutait, elle parlait, elle relevait les courages avec je ne sais quel accent martial, une langue énergique à la façon des consolations militaires et chaude comme un cordial. Si c’était un petit qui n’allait pas bien, elle arrivait droit à son lit, riait à l’enfant qui n’avait plus peur, bousculait le père et la mère, allait, venait, ordonnait, prenait la direction de tout, maniait les sangsues, arrangeait les cataplasmes, ramenait l’espérance, la gaieté, la santé au pas de charge. Dans toute sa famille, la vieille demoiselle tombait ainsi providentiellement, soudainement, aux jours de peine, d’ennui, de chagrin. On