Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/40

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qu’elle voyait trop malheureux dans ce tiraillement journalier de ses plus chères affections. Elle le laissa à sa femme, à ses enfants. Cette séparation fut un des grands déchirements de sa vie. Elle qui était si forte contre l’émotion, si concentrée, et que l’on voyait mettre comme un orgueil à souffrir, manqua faiblir quand il lui fallut quitter cet appartement où elle avait rêvé un peu de bonheur dans son petit coin à côté du bonheur des autres : ses dernières larmes lui montèrent aux yeux.

Elle ne s’éloigna pas trop, pour être encore à la portée de son frère, le soigner s’il était malade, le voir, le rencontrer. Mais il lui restait un vide au cœur et dans la vie. Elle avait commencé à voir sa famille, depuis la mort de son père : elle s’en rapprocha, laissa revenir à elle les parents que la Restauration remettait en haute et puissante position, alla à ceux que le nouveau pouvoir laissait petits et pauvres. Mais surtout elle revint à sa chère poule et à une autre petite cousine, mariée elle aussi, et devenue la belle-sœur de la poule. Son existence alors, avec ses relations, se régla singulièrement. Jamais Mlle de Varandeuil n’allait dans le monde, en soirée, au spectacle. Il fallut l’éclatant succès de Mlle Rachel pour la décider à mettre les pieds dans un théâtre ; encore ne s’y risqua-t-elle que deux fois. Jamais elle n’acceptait un grand dîner. Mais il y avait deux ou trois maisons où, comme chez la poule, elle s’invitait à l’improviste quand il n’y avait personne. « Bichette, disait-elle sans façon,