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Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/317

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mal serait tout-puissant pour le bien ; aujourd’hui elle se demandait si la royauté ne donnait pas un exemple de scandale en descendant à payer un tribun, et elle se prenait à douter que Dieu bénît de tels marchés. Tantôt, tout entière au présent, oubliant la Révolution comme si la monarchie allait avoir un intendant pour s’occuper de cela, elle retrouvait avec ses amis le passé, son rire, son confiant abandon, sa malice et sa grâce ; tantôt l’avenir s’emparait d’elle et agitait ses nuits. Cependant, la négociation terminée, c’était l’espérance qui triomphait en elle : elle espérait un moment follement comme le Roi.

Mirabeau s’était mis à l’œuvre. Mais, pendant que, pour gagner son argent, il envoyait à la cour notes sur notes[1], vains conseils où tout ce qui n’est pas menace n’est que ténèbres ; pendant qu’il bondissait à la tribune pour sauver son honneur ; pendant que, mal à l’aise et grondant dans ce rôle à deux faces, il s’agitait et se précipitait de tous côtés, haletant, furieux et ne suffisant pas à son génie, brûlant ses jours, brûlant ses nuits, parlant, écrivant, dictant, vivant, sans pouvoir rassasier son âme de fatigues ni son corps de débauches, un sentiment confus se faisait jour dans les orages de son cœur. Un désir étrange, irrité chaque jour, le poussait à s’approcher de la Reine. Sa parole changeait tout à coup pour elle ; sa plume trouvait

  1. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck. — Pièces justificatives des crimes commis par le ci-devant Roi. Second recueil, 1er cahier.