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Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/325

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Les commandants de bataillon de la garde nationale, placés dans le salon, appelé grand cabinet, qui précédait la chambre à coucher de la Reine, avaient l’ordre d’en tenir toujours la porte ouverte et de ne point quitter des yeux la famille royale. La nuit même, la Reine au lit, cette porte restait ouverte, et l’officier se plaçait dans un fauteuil, la tête tournée du côté de la Reine, guettant ce lit qui avait servi d’étal, pendant la fuite de Varennes, aux cerises d’une fruitière[1]. La Reine n’obtint qu’une grâce : ce fut que la porte intérieure serait fermée quand elle se lèverait et s’habillerait ; et dans cette captivité, déjà si persécutée, les seuls jours de liberté étaient les jours où l’acteur Saint-Prix, tout dévoué à la famille royale, obtenait de monter la garde dans le corridor noir, le corridor de communication de la Reine et du Roi, et permettait l’épanchement de leurs entretiens, la confidence à leurs paroles[2].

De longs jours s’écoulèrent, après ce retour, où l’esprit de la Reine demeura comme anéanti. Son courage était las, sa volonté désespérée. Et que vouloir, qu’imaginer, que tenter encore contre une fatalité si inexorable, devant de tels jeux de la mauvaise fortune ? La Reine repassait tout ce voyage sans pouvoir en attribuer le malheur à des fautes humaines ; elle le revoyait sans pouvoir en détacher sa pensée ; elle le revivait pour ainsi dire : cette nuit, cette route, ce ressort de la berline cassé à

  1. Révolutions de Paris, par Prudhomme, n°99.
  2. Mémoires de Mme Campan, vol. II.