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Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/373

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les voilà ! » dit d’une voix rauque le gros homme, poussant son troupeau devant lui, et montrant la Reine et le Dauphin. Une femme, l’ordure à la bouche, tend, avec un geste de mort, deux bonnets rouges à la Reine. Le général Wittingthoff en pose un sur la tête de la mère, un sur la tête du fils, et tombe évanoui[1]. La foule grossissante presse les gardes nationaux contre la table. Les hommes poussent les femmes auprès de la Reine pour lui cracher des injures au visage : « M’avez-vous jamais vue ? Vous ai-je fait quelque mal ? leur dit la Reine. On vous a trompées.. je suis Française… j’étais heureuse quand vous m’aimiez[2] ! Et voilà qu’à cette voix si douce et si triste, le tumulte s’est tu pour écouter. Tout à coup touchées, ces femmes s’apprivoisent et rentrent dans leur sexe. La fureur tombe, la bouche se ferme sur l’outrage commencé. L’émotion, la pitié rouvrent les cœurs. L’humanité reconquiert cette populace : elles pleurent, ces femmes ! « Elles sont saoules ! » dit Santerre en haussant les épaules[3], et lui-même approche, s’accoude familièrement à la table… Mais quand il fut face à face avec cette majesté de la douleur, lui aussi il redevint un homme. Il vit que le Dauphin suait sous son bonnet rouge, et d’un ton brusque : « Otez le bonnet à cet enfant : voyez comme il a

  1. Le cri de douleur.
  2. Mémoires de Mme Campan, vol. II.
  3. Copie du rapport du chef de la quatrième légion (Mandat).