Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/115

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verdure de la campagne parisienne ; là — l’histoire est vraiment plaisante — là, c’est là que se dressait une magnifique et orgueilleuse plante, entrevue au coucher du soleil par Français, rêvant toute la nuit d’en rendre, le lendemain, l’élancement vivace et la délicate dentelure des feuilles. Il se lève de grand matin, court à l’endroit… plus de plante… disparue… et le voilà cherchant à s’expliquer la disparition, quand il éclate de rire. Une vache, levée avant lui, l’avait mangée et digérée au petit jour. Et sa plante… c’était une énorme bouse !

Bougival, son inventeur ç’a été Célestin Nanteuil, qui eut le premier canot ponté, dans les temps où les bourgeois venaient s’y promener en bateaux plats. Tout est souvenir historique en cet endroit : la maison de Lireux et les dîners du dimanche, la maison de Odilon Barrot et le kiosque aux rêveries constitutionnelles, la maison blanche bâtie par Charpentier où est mort Pradier, la maison de Pelletan, et un tas de maisons qui vous racontent de grandes passions et des histoires dramatiques de femmes connues. Et à Bougival, comme partout ailleurs, le commerce humilie l’art et la littérature, et Staub, du haut de la Jonchère, située comme un château de Lucienne, regarde de bien haut les modestes toits de l’artiste.

Nanteuil, un grand, un long garçon, aux traits énergiques, à la douce physionomie, au sourire caressant, féminin. La personnification et le représentant de l’homme de 1830, habitué à la bataille, aux nobles luttes, aux sympathies ardentes, à l’ap-