Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/116

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plaudissement d’un jeune public, et en portant, inconsolable et navré, au fond de lui, le regret et le deuil. Les idées politiques de 1848 l’ont un moment enfiévré, fait revivre, mais quand elles ont été tuées, il a été repris de plus belle par l’ennui de l’existence, l’inoccupation des pensées et des aspirations.

Un esprit distingué, attaqué d’une paisible nostalgie de l’idéal en politique, en littérature, en art, mais ne se lamentant qu’à demi-voix, et ne s’en prenant qu’à lui-même de sa vision de l’imperfection des choses d’ici-bas. Un homme essentiellement bon, tendre, indulgent, modeste, et faisant peu de bruit, et riant sans éclat, et plaisantant sans fracas.

Tout pardonnant aux autres qu’il est, on sent que son esprit a de bons yeux, et qu’il perçoit parfaitement les niaiseries, les lâchetés, les butorderies qui lui sont données à voir. Il leur fait grâce, en les fouettant d’un rien d’ironie, d’une ironie qui est un sourire à peine sensible, une petite flèche lui partant d’un coin de lèvre et qui, toute légère qu’elle est, entre dans un ridicule comme dans une baudruche. Ce mot d’une dame à Dumas père l’explique bien, ce railleur voilé et discret. « Ah ! mais, il est spirituel, Nanteuil, je ne m’en étais jamais aperçue ! »

Si apaisées qu’elles soient ses mélancolies, — elles l’accompagnent plutôt qu’elles ne le poursuivent, — l’avenir inquiète Nanteuil, il a la crainte du travail pouvant manquer à sa vieillesse, d’un jour à l’autre ; voyant l’illustration de la romance, dont il vivait en grande partie, déjà abandonnée. Et il récapitule tous