Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/125

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Blanche, le jour où le ténor Léonce lui dévora la pêche qu’elle devait manger en scène… Et quels soupers joyeux faisait le soir la petite troupe, quand on lui servait deux douzaines de chaussons aux pommes, et quel grand jour, la veille de la représentation, le jour que Mme Passy rangeait tous les costumes dans la grande chambre, où nous couchons aujourd’hui !

Qu’est devenu le théâtre, et les acteurs et les actrices ? Aujourd’hui j’ai poussé la petite porte verte de derrière la serre, jadis l’entrée des artistes. Voici bien encore la grande cage à poulets, faite de feuilles de persiennes, où les petites actrices s’habillaient, mais elle n’est plus remplie que de caisses en bois blanc. Au grenier sont empilés, l’un sur l’autre, les décors dont s’échappent des morceaux de rideaux rouges à franges d’or. Plus rien des galeries, des loges, des banquettes, que les six poteaux qu’on entourait de verdure, les jours de la grande représentation, et en place de ce qui a été brûlé, un établi où l’on menuise, et des plantes grasses sur des planches… Et Berthe est morte, et les autres petites demoiselles sont devenues des femmes, des épouses, des mères, et Léonce est garde des forêts, et Bazin est professeur de géographie et décoré de l’ordre du Pape, et Antonin est en train de se faire tuer à Sébastopol, et le père Pourrat a toujours sa tragédie des Celtes en portefeuille, et le bonhomme Ginette est établi teinturier, rue Sainte-Anne, et Louis est docteur en droit, et moi rien du tout.