Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/141

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bouche ouverte, un sourire tremblant sur ses lèvres pâles dans le demi-jour de rideaux roses.

— J’entends un timbre : c’est un bruit net, sec, mécanique, anglican, toujours semblable à lui, qui dit qu’on sonne et non qui sonne : la détente d’un ressort d’acier qui tombe dans le vide de votre attente, de vos espérances. Oh ! la sonnette qui fait drelin ! drelin ! qui rit, qui chante comme un tourne-broche — au fait, il n’y a plus de tourne-broche aujourd’hui et l’on cuit au four — la sonnette qui vous dit de sa chanson fêlée, retour, amour, un vieil ami, une maîtresse neuve. Que c’est laid la civilisation des machines : le timbre me semble la sonnette du phalanstère.

— Une bonne d’une lorette qui habite la maison prête de l’argent à ses amants de cœur, à 20, 30, 50 pour 100.

— J’ai vu aujourd’hui le modèle des maîtresses, la maîtresse d’un jeune Anglais phtisique, une Italienne assez attachée à la poitrine de son amant, pour l’empêcher de sortir tous les soirs, s’enfermant avec lui, causant, fumant des cigarettes, lisant, toujours couchée sur une chaise longue, et dans une attitude qui montre un bout de jupon blanc et les bouffettes rouges de ses pantoufles. Viennent là, trois ou quatre Anglais et Allemands, qui apportent leurs pipes, une demi-douzaine d’idées hégéliennes,