Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/160

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Il nous emmène chez lui, pour nous faire voir les porcelaines de Sèvres, les tabatières guillochées, les bibelots qu’il touche et retouche avec la fièvre des mains tâtillonnantes d’un enfant, qui aurait hérité d’une boutique de jouets. « Voyons donc, ce service gothique dont on m’a tant parlé dans mon enfance, » s’écrie-t-il, et il fait sonner l’argenterie, et il déficelle le linge, et dans les fouilles que ses doigts font au hasard dans les ténèbres des fonds d’armoire, il sort triomphalement à la lumière une bouteille d’eau-de-vie qui porte, oui, qui porte la date de 1789.

Dans sa poche, il remue les clefs de tout cela, nerveusement, et il nous montre les titres de propriété pour se les remontrer, et se refaire la certitude que ce n’est point un rêve : cette certitude qu’il semble à tout moment avoir besoin de raffermir, avec la vue du testament, de l’envoi en possession. Cette succession lui arrive au moment où il gagnait sa vie à Bruxelles, à composer des feuillets d’un dictionnaire d’histoire et de géographie, à 40 francs la feuille.

Alors, c’est le drolatique récit de ses soixante-trois créanciers, dont quelques-uns ne sont pas venus se faire payer, redoutant une mystification, et dont les autres lui disaient avec toutes sortes de défiances : « Vous êtes bien chez vous, on peut parler, n’est-ce pas ? »

Et dans le dîner qu’il nous donne au Moulin-Rouge, apparaît, au fond de ses pensées et de ses paroles, comme une charge pesante, une responsa-