Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/197

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22 avril. — Exposition aux commissaires-priseurs d’une collection d’habits du XVIIIe siècle : habits pluie de roses, fleur de soufre, gorge de pigeon, et couleur désespoir d’opale et ventre de puce en fièvre de lait ; tous ces habits avec un tas de reflets agréables à l’œil, chantants, coquets, égrillards. Il avait inventé cela, le XVIIIe siècle, de s’habiller de printemps et de toutes les nuances riantes et de toutes les gaietés de ce monde. De loin l’habit souriait avant l’homme… C’est un grand symptôme que le monde, tel qu’on le voit aujourd’hui, s’est fait bien vieux et bien triste, et que beaucoup d’aimables choses sont enterrées !

1er  mai. — Théophile Gautier, l’oreille somnolente, un doux et bon sourire dans l’œil, avec sur les lèvres une parole lente, émise par une voix trop petite pour le corps, et mal notée, et pourtant à la longue agréable, presque harmonieuse. Et c’est une causerie tête à tête, simple, tranquille, bonhomme, allant sans se presser, mais tout droit, et sans surcharge de métaphores, et avec une grande suite dans l’enchaînement des idées et des mots, et, par-ci, par-là, laissant percer une mémoire étonnante, où le souvenir a la netteté d’un cliché photographique.

Il nous fait des compliments sur notre Venise parue dans l’Artiste, nous disant que pour lui « c’est le plus fin bouquet de parfums de la ville des doges », et afin de nous prouver qu’il a tout senti, tout compris, nous décrit l’Osteria della Luna, sa situation,