Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/248

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sera. » L’Impératrice prend le livre, se met à le lire, et tout à coup part d’un grand éclat de rire. L’Empereur s’approche, interroge ; l’Impératrice lui montre le mot tétonnières appliqué aux femmes du Directoire. L’Empereur regarde, relit, s’assure de l’épithète, — et ferme sévèrement le livre.

Avril. — Nous feuilletons depuis quelque temps une sage-femme, intéressante comme la portière de l’existence humaine. Le mouvement instinctif du nouveau-né, lorsqu’il sort de son premier domicile, et qu’il est encore oscillant à l’ouverture, ce mouvement, ce premier acte de vie, est de redresser la tête et de la soulever vers la lumière : cœlumque tueri jussit.

11 avril. — Dans un angle glacé de la place Royale, il y a deux coupés qui se morfondent à une porte, des sergents de ville, et une queue de ménages du Marais, de ménages à la Daumier, et, derrière ces ménages, de petites ouvrières en cheveux. C’est là. Je monte avec ceux qui montent. Et d’abord une grande pièce éclairée par le jour morne d’une cour, et, tout autour, dans des poses affaissées et pleurantes, les hardes de la morte, hardes de femmes, hardes de reines ; les sorties de bal de satin blanc et les robes d’Athalie, tous les chiffons-reliques de ce corps, tous les costumes de cette gloire, accrochés en grappes, comme aux murs d’une Morgue, avec un aspect d’enveloppes fantomatiques et de vêtements