Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/268

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15 août. — … La table est mise dans la cour, entourée d’un treillage vert attendant les plantes grimpantes, et à l’entrée de laquelle se tiennent scellés deux beaux ânes gris, harnachés de rouge et tout pomponnés de houppettes à l’espagnole. Nous nous asseyons dix-neuf sur des chaises de jardin. Villemessant blaguant l’appétit de celui-ci, les fours de celui-là, criant à sa femme : « Bois du bordeaux, ça te fera vivre quinze jours de plus, » appelant « Fouyou » sa fille, qu’il traite en vrai gamin, et nous disant : « On m’a demandé à Blois qui vous êtes, j’ai répondu que vous étiez les frères Lionnet, des chanteurs de chansonnettes, et que vous alliez chanter quelque chose aux fêtes. »

Il y a parmi les convives un dur à cuire de 76 ans, qui en paraît 40, et qui est en pantalon blanc, en redingote de lasting, en chaussettes de soie dans de fins escarpins. Un homme qui a fait sa carrière dans les intendances de Napoléon Ier, et qui, depuis rallié aux Bourbons et mêlé à de grands événements, et devenu le familier de nombre de personnages, est tout plein d’anecdotes donnant un relief aux faits historiques. C’est le baron Penguilly, père de Penguilly le peintre.

Lors de l’entrée de l’armée française à Moscou, il prend possession d’un palais. Dans la visite des chambres, il entend un frôlement de robe, aperçoit un pied sous un lit, tire à lui un bas de soie noire, au bout duquel il y a une jolie femme, et encore un autre pied et une autre jolie femme. Des deux