Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/290

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Comme c’est l’interprétation parlante de la tragédie, telle qu’elle fut conçue dans le cerveau d’un Racine, déclamée, chantée, dansée par une Champmeslé, applaudie par les gens bien nés d’alors et les seigneurs sur les banquettes. En voici la pompe, la richesse, la composition solennelle, le geste accompagnant la mélopée… Oui, la tragédie respire et vit là, mieux que dans l’œuvre imprimée et morte de ses maîtres, mieux que dans les reconstitutions des critiques ; oui, là, sous ce portique ordonnancé par un Perrault, qui laisse voir sous un de ces arcs le jet d’eau d’un bassin de Latone ; là, dans ce quatuor balancé, dans cette partie carrée où la passion dramatique semble un menuet grandiose.

Quel Roi-Soleil de l’alexandrin, celui à qui une Ariane dit : « Seigneur ! » ce glorieux personnage couronné de sa perruque, en grand et magnifique habit, avec ses brassards et ses cuissards de dorure et de broderie, sa cuirasse de rayons ! Et quelle reine magique de Versailles, celle qu’on appelle de ce grand nom : « Madame ! » la princesse au panier superbe, au corsage semblable à la queue d’un paon ! Et l’attitude respectueuse de ces deux ombres qui suivent le Prince et la Princesse, en portant la queue de leurs tirades : le confident et la confidente, ces deux silhouettes qui se détournent pour pleurer et font une si régulière perspective d’attendrissement !

— On a souvent essayé de définir le Beau en art. Ce que c’est ? Le Beau est ce qui paraît abominable