Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/311

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le moment à notre disposition, et cela par acquit de conscience et sans la moindre espérance, quand, le soir, le mari et la femme, et même le petit enfant au sein de sa mère, nous apportent le dessin sur lequel nous ne comptions pas.

Et nous passons toute la soirée, à regarder le roi Louis XV passer la revue de sa maison militaire, son livret à la main, et les soldats microscopiques et les curieux refoulés à coups de crosse de fusil, et les chambrières montées sur le haut des carrosses, et dont un coup de vent fait envoler les jupes. — Notre plaisir mêlé d’un petit remords, d’avoir pu si peu donner d’argent, pour un si beau dessin, à de si pauvres gens !

— Rien de plus charmant, de plus exquis que l’esprit français des étrangers, l’esprit de Galiani, du prince de Ligne, de Henri Heine.

15 décembre. — Nous tombons sur des fragments oratoires du Marat de Lyon, sur l’éloquence grisée de Chalier, où la phrase sonne parfois comme un vers d’Hugo. Personne n’a vraiment rendu la passion, l’excitation, la furie, le grand delirium tremens de ce temps. La Révolution n’a eu pour historiens jusqu’à présent que de froids journalistes comme M. Thiers ou des harpistes comme Lamartine… Et les peintres donc, quelles pauvres intelligences ! Nous étions plongés, ces journées-ci, dans les Mémoires de Mme  de Larochejacquelein. Quel livre ! Quelle