Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/336

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quet de violettes à la boutonnière, ramenant leur avant-bras, pour faire palper, à leurs voisins, sur le drap de la manche, le sac de pommes de terre de leurs biceps ; les maîtres d’armes de régiment, une redingote passée sur leur veste de salle, la tenue martiale et académique, le front évasé, les yeux enfoncés, un petit bout de nez relevé et le visage en as de pique.

À côté de ces hommes, deux genres de femmes : la vieille teneuse de gargot et de basse table d’hôte ; la petite fille du peuple, toute jeunette, au bonnet noir à rubans de feu, à laquelle le gros homme élastique, qui vient de tirer le sabre, redemande son mouchoir, où les sous sont noués dans un coin.

— Ce qui me dégoûte c’est qu’il n’y a plus d’extravagance dans les choses du monde. Les événements sont raisonnables. Il ne surgit plus quelque grand toqué de gloire ou de foi, qui brouille un peu la terre et tracasse son temps à coups d’imprévu. Non, tout est soumis à un bon sens bourgeois, à l’équilibre des budgets. Il n’y a plus de fou même parmi les rois.

10 avril. — Flaubert, qui part à Croisset marier sa nièce, vient me faire ses adieux. Il nous entretient d’une création qui a fort occupé sa jeunesse, aussi bien que quelques-uns de ses amis, et surtout son intime, Poitevin, un camarade de collège qu’il nous peint comme un métaphysicien très fort, une na-