Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/363

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21 novembre. — Tous ces temps-ci, travaillé à notre roman de Sœur Philomène. Quand vous avez travaillé toute la journée, quand votre pensée s’est échauffée le jour entier, sur le papier, sans le contact et le rafraîchissement de l’air extérieur et des distractions, votre tête que vous sentez, dans la journée, lourde de la crasse d’une cervelle, vous semble à la nuit, pleine d’un gaz, léger, spirituel, capiteux.

— Il semble que dans la création du monde, Dieu n’a pas été libre et tout-puissant. On dirait qu’il a été lié par un cahier des charges… Pour pouvoir faire l’été il a été obligé de faire l’hiver.

29 novembre. — À propos d’un croquis de Mme Hercule, le modèle de femme, célèbre par ses histoires extravagantes, Gavarni revient sur sa jeunesse, sur cette vie de noctambule qu’il affectionnait, sur ces nuits où il se trouvait avec Mlle Aimée et toute une bande de jeunes et honnêtes femmes au bois de Boulogne, dans le faubourg du Roule, à la campagne, sur ces parties qui n’avaient que le plaisir apporté par le rire fou de Mlle Aimée et les cocasseries de Chandellier. C’est étonnant, c’est particulier comme cette génération de 1830, comme cette société de Gavarni, qui n’était pas une exception, s’amusait de peu, et quelle ingénuité de la première jeunesse restait à ces hommes qui avaient très peu besoin du fouet et du charme irritant de l’orgie, et qui semblent avoir passé beaucoup de leur vie avec des bourgeoises