Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/373

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Nous nous sauvons de là, et nous nous apercevons que notre système nerveux, dont l’état nous avait à peu près échappé dans la contention de toutes nos facultés d’observation, ce système nerveux secoué et émotionné de tous les côtés à notre insu, a reçu le coup de tout ce que nous avons vu. Une tristesse noire flotte autour de nous. Le soir nous avons les nerfs si malades, qu’un bruit, qu’une fourchette qui tombe, nous donne un tressaillement par tout le corps, et une impatience presque colère. Nous nous complaisons au coin du feu, dans le silence, le mutisme, acoquinés là, sans l’énergie de bouger, de nous remuer, de nous secouer.

27 décembre. — C’est affreux, cette odeur d’hôpital qui vous poursuit. Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains. Et les odeurs mêmes que nous mettons dans l’eau, prennent, il nous semble, cette fade et nauséeuse odeur de cérat… Il nous faut nous arracher de l’hôpital et de ce qu’il laisse en vous, par quelque distraction violente…

Ah ! lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux !