Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/383

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bien égal. J’ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration, une nuance. Par exemple dans mon roman carthaginois, je veux faire quelque chose pourpre. Dans Madame Bovary, je n’ai eu que l’idée de rendre un ton, cette couleur de moisissure de l’existence des cloportes. L’affabulation à mettre là-dedans me faisait si peu, que quelques jours avant de me mettre à écrire le livre, j’avais conçu « Madame Bovary » tout autrement. Ça devait être, dans le même milieu et la même tonalité, une vieille fille dévote et chaste… Et puis j’ai compris que ce serait un personnage impossible. »

En rentrant à la maison, nous trouvons notre manuscrit de Sœur Philomène que nous retourne Lévy, avec une lettre de regret, s’excusant sur le lugubre et l’horreur du sujet. Et nous pensons que si notre œuvre était l’œuvre de tout le monde, une œuvre moutonnière et plate, le roman que chacun fait, et que le public a déjà lu, notre volume serait accepté d’emblée. Oh ! vouloir faire du neuf, ça se paye !

Décidément, hommes et choses, éditeurs et public, tout conspire à nous faire la carrière littéraire plus semée d’échecs, de défaites, d’amertumes, plus dure qu’à tout autre, et au bout de dix ans de travail, de luttes, de batailles, de beaucoup d’attaques et de quelques louanges par toute la presse, nous serons peut-être réduits à faire les frais de ce volume. Et cela, en ce temps qui paye, dit-on, 2 800 francs, à Hector Crémieux, un couplet dans le retapage du Pied de mouton.