Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/382

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une danseuse met l’œil au trou de la toile, qui lui dessine sur la joue une lentille de lumière. Dans les fonds, entre les décors, des silhouettes d’hommes et de femmes s’entassent et remuent confusément. Une lanterne jette un reflet dans l’ombre pleine d’objets, sur le casque d’un pompier, sur un visage, sur un bout de jupe à la couleur éclatante. Ces grands fonds d’ombre tout grouillants, éclaboussés de lueurs sur leurs arêtes, et qu’on dirait pochés par le pinceau de Goya, renferment une vie fantastique. Puis tout cet immense mouvement de choses qui se déplacent sans bruit et comme d’elles-mêmes, a quelque chose de mystérieux, et qui fait penser à des rouages féeriques mettant ce monde de machines en branle.

Et par moment, dans sa demi-nuit et ses ténèbres transparentes, le peuple bariolé qu’on entrevoit là, apparaît comme un carnaval dans les Limbes.

— Dans toute société d’hommes, un don, une qualité de l’individu impose sa reconnaissance et son autorité à tous. Cette chose qui fait autour de lui le respect et une disposition des autres à s’incliner sous ses idées : c’est le caractère.

— L’horreur de l’homme pour la réalité lui a fait trouver ces trois échappatoires : l’ivresse, l’amour, le travail.

Dimanche 17 mars. — Flaubert nous disait aujourd’hui : « L’histoire, l’aventure d’un roman : ça m’est