Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/406

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monsieur qui y avait déjà sonné. Ni l’un ni l’autre n’avait lu l’adresse donnée, dans la lettre d’invitation. L’Anglais était, depuis quatre mois, déménagé à Passy. Les deux invités de l’Anglais prennent le parti de dîner à Belleville, et dînent ensemble sans se connaître. Salvandy était légèrement intrigué de cet homme un peu peuple, mais dans lequel il percevait une certaine finesse, quand, au milieu du dîner, son commensal lui dit tout à coup : « Je vais vous chanter une petite chanson pour me tenir en haleine ! » C’était Béranger, et l’endroit semblait vraiment choisi pour la rencontre.

Et comme nous laissons entrevoir que nous trouvons un peu exagérée cette gloire de Béranger, Sainte-Beuve reprend : « Oui, on a été très loin. Tenez, il y a un monsieur qui m’envoie de Batignolles, presque tous les quinze jours, une pièce de vers, en l’honneur du chantre de Lisette, on voit que c’est chez lui une idée fixe… Ce sont des veines et des déveines comme cela en France…. Mais ensuite n’a-t-on pas été trop dur ?… Le commun sans doute, c’est le grand chemin de Béranger ; mais il y a des bas-côtés, bien jolis, bien délicats. Sous l’enveloppe grossière se cachait une excessive finesse. Lamartine a dit qu’il avait de grosses mains, ce n’est pas vrai, il avait des mains de femme. »

Et la conversation va à l’esprit, aux bons mots, et Sainte-Beuve cite ce mot de Mme d’Osmont abîmant la duchesse de Berry, lors de son arrestation en Vendée, et à laquelle on demandait pourquoi elle