Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/410

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Beuve sur Mme Swetchine, nous dit : « C’était assez gênant d’aller chez elle, elle vous demandait des nouvelles de votre âme, comme on demande aux gens s’ils vont bien… et s’informait si vous étiez en état de grâce, absolument comme si elle se fût informée si vous étiez enrhumé ! »

Mardi 15 novembre. — J’ai ma maîtresse assise, en chemise, sur mes genoux. Je la vois de dos, la nuque dans l’ombre, sa figure tout en lumière dans la glace. Des cheveux follets, échappés au-dessous de son oreille, frisent comme de petites arborisations agatisées, se détachant dessus le globe lumineux de la lampe posée sur la cheminée. Il y a une volupté étrange à avoir, ainsi sur soi, un corps de femme dont on n’aperçoit rien, qu’une obscure envolée de cheveux, et la lumineuse réflexion de son visage, perdant un peu de sa réalité matérielle dans son éclairement glaceux… Et elle parle de l’enterrement d’une voisine, — un de ses sujets favoris, — elle parle des franges du corbillard, de la beauté du cercueil dont le bois de chêne n’avait pas de nœuds, et elle finit par déclarer, que si on ne faisait pas bien les choses pour son enterrement, elle en aurait un chagrin mortel. L’épithète est curieusement choisie, n’est-ce pas ?

— Parfois, je pense qu’il viendra un jour, où les peuples modernes jouiront d’un dieu à l’américaine, d’un dieu qui aura été humainement, et sur lequel