Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/100

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déclare qu’il est pour sa perpétuité. Proposition contre laquelle s’élève avec une grande vivacité Sainte-Beuve, s’écriant : « Vous êtes payé par la fumée, par le bruit… Mais un homme qui écrit devrait dire : Prenez, prenez… On est vraiment trop heureux qu’on vous prenne ! » Et comme Flaubert, qui a l’habitude d’adopter assez volontiers le contrepied de l’opinion émise, jette : « Moi, si j’avais inventé les chemins de fer, j’aurais voulu que personne n’y montât, sans ma permission ! » Sainte-Beuve réplique coléreusement : « La propriété littéraire pas plus que l’autre… Il ne faut pas de propriété… Il faut que tout se renouvelle, que chacun travaille à son tour… »

Dans ces quelques paroles, jaillies du plus secret et du plus sincère de son âme, on sent, dans Sainte-Beuve, le célibataire révolutionnaire, et il nous apparaît presque avec la tête d’un conventionnel niveleur, d’un homme laissant percer contre la société du XIXe siècle des haines à la Rousseau, ce Jean-Jacques auquel il ressemble un peu physiologiquement.

Alors, je ne sais qui jette le nom de Hugo dans la conversation. Sur ce nom, Sainte-Beuve bondit, comme mordu par une bête sous la table, et déclare que c’est un charlatan, que c’est lui qui a été le premier un spéculateur en littérature ! Là-dessus Flaubert s’exclame que c’est l’homme dans la peau duquel il aimerait le mieux être. « Non, lui répond justement Sainte-Beuve, non, en littérature, on ne