Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/101

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voudrait point ne pas être soi… on voudrait bien s’approprier certaines qualités d’un autre… mais en restant toujours soi. »

Et tout à coup un adoucissement se fait dans sa voix… et il reconnaît à Hugo un grand don d’initiation : « Oui, c’est lui qui m’a enseigné à faire des vers. Un jour aussi, au Louvre, devant des tableaux il m’a appris sur la peinture… tout ce que j’ai oublié depuis… Un tempérament prodigieux, cet Hugo. Son coiffeur me disait que le poil de sa barbe était le triple d’un autre, qu’il ébréchait tous les rasoirs. Il avait des dents de loup-cervier, des dents cassant des noyaux de pêches. Et avec cela des yeux… tenez, quand il faisait ses Feuilles d’automne, nous montions, tous les soirs, sur les tours Notre-Dame, pour voir les couchers de soleil, — ce qui, entre nous, ne m’amusait pas beaucoup ; — eh bien, il voyait de là-haut, au balcon de l’Arsenal, la couleur de la robe de Mlle Nodier. »

Oh ! certes, c’est la santé d’un génie bien portant, mais toutefois pour le rendu des délicatesses, des mélancolies exquises, des fantaisies rares et délicieuses sur la corde vibrante de l’âme et du cœur, ne faut-il pas, je me le demande, un coin maladif dans l’homme, et n’est-il pas nécessaire d’être un peu, à la façon de Henri Heine, un crucifié physique ?

17 février. — Nous allons avec Flaubert, au petit bal masqué intime, donné par Marc Fournier à la