Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/119

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Sainte-Beuve venait souvent causer avec lui en 1848, lui avouant que c’était dans le but de l’étudier, et lui demandait comment il faisait pour parler, et prenait des notes, en se frottant joyeusement les mains : « Je lui ai connu bien des phases d’existence. D’abord, idolâtre de Hugo chez Hugo, et là, faisant les meilleurs vers qu’il ait faits : les vers à sa femme ; puis saint-simonien ; puis mystique à croire qu’il allait devenir chrétien, et maintenant très mauvais. Savez-vous que l’autre jour, à l’Académie, à propos du Dictionnaire, il a osé dire, en se touchant le front : “Enfin croyez-vous que ce que nous avons là, soit autre chose qu’une sécrétion du cerveau ?” C’est du matérialisme comme on ne croyait pas qu’il y en eût encore, sauf chez quelques médecins. Il y a bien le rationalisme, le scepticisme, mais le matérialisme pur, cela n’existait plus, il y a quelques années… Et dernièrement, lors du prix de 20,000 francs et de la discussion au sujet de Mme Sand, n’a-t-il pas dit que le mariage était une institution condamnée, que ça n’aurait bientôt plus lieu…

« Oh ! Littré, mon Dieu, tout en reconnaissant que l’évêque d’Orléans a fait son devoir, et qu’il était dans son droit, je n’aurais pas été aussi éloigné que mes amis de voter pour lui : c’est un homme austère, honorable, qui a fait de grands travaux.

« Et puis, il a une chose à son compte, dont je lui sais le plus grand gré et que j’estime beaucoup en lui, c’est que toutes les fois qu’il a parlé du moyen âge, il a rendu justice à l’élément ger-