Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/141

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de l’autre, étageant leurs moues et leurs sourires, nous contant le Chinois avec lequel elles ont dîné hier, allant chercher les souliers de la Chinoise qu’il leur a donnés, bégayant les mots chinois qu’il leur a dits. Ça leur va, ce caquetage exotique, à ces jolies et mutines Orientales de Paris, qui ont, dans leurs mouvements, je ne sais quelle mollesse tendre, et dans leurs personnes, un brin de ces êtres de gentillesse, timides, familiers et curieux, repoussés doucement par la main du rajah de Lahore, dans la visite que lui fait le prince Soltikoff. Oui, par moments, ces deux fillettes semblent les filles de la nostalgie des pays de soleil de leur père.

Et l’on apporte des plats d’une cuisine étrangement cosmopolite : des épinards dans lesquels on a pilé des noyaux d’abricots, un zabayon, — et Gautier, heureux, réjoui, mangeant, plaisantant, interpellant les bonnes avec une solennité drolatique, comiquement débonnaire, s’épanouit comme un Rabelais en famille.

On se lève de table, on passe au salon. Les fillettes vous attirent doucement dans de petits coins d’ombre et d’intimité, en de gracieuses attitudes de confidences familières, pour vous faire épeler une page de leur grammaire chinoise, ou vous montrer, au milieu de petits rires argentins, une Angélique, d’après un tableau de M. Ingres, sculptée par Judith, dans un navet, — hélas ! se ratatinant tous les jours.

Mais voici Gautier qui, à propos du livre de Renan, auquel il reproche l’entortillage de ce Dieu qui n’est