la journée, faire sa salle, distribuer son service, assister à toutes les représentations jusqu’au bout pour empêcher les acteurs de lâcher pied, emmener le soir des amis souper — et par là-dessus trouver le temps et le sang-froid d’écrire sa préface, par morceaux, par phrases crayonnées, en voiture, en mangeant, dans les cafés, dans les coulisses : c’est comme si on dépensait dix ans de sa vie, de son système nerveux, de son cerveau, en dix jours.
15 décembre. — Thierry est venu ce matin chez nous. La veille il avait reçu le premier exemplaire de notre préface. J’ai compris de suite, à première vue, que notre préface avait tué la pièce.
Eh bien, qu’importe ! j’ai la conscience d’avoir dit la vérité, et d’avoir signalé la tyrannie des brasseries et de la bohème à l’égard de tous les travailleurs propres, de tous les gens de talent qui n’ont pas traîné dans les caboulots, d’avoir signalé ce socialisme nouveau, qui dans les lettres recommence tout haut la manifestation du 20 mars, et pousse son cri de guerre : « À bas les gants ! » Car c’est surtout cela cette cabale, et peut-être les gens qui la trouvent drôle, parce qu’elle n’atteint que nous, n’en riront pas plus tard.
Thierry tire de sa poche un numéro de la Gazette de France, et sur l’attaque qu’elle contient contre nous, suivie d’un curieux appel aux contribuables dont l’argent sert à monter une Henriette Maréchal, nous demande de retirer notre pièce. Nous refusons,