Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/56

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les reconstruit dans la nuit, et elles me tourmentent de leur horreur voilée, ces heures !… J’ai besoin d’être fixé. Enfin, ce matin, je prends mon courage à deux mains. Et je revois l’hôpital, et je revois le concierge rougeaud, obèse, puant la vie comme on pue le vin, et je revois ces corridors, où de la lumière du matin tombe sur la pâleur de convalescentes souriantes…

Dans un coin reculé, je sonne à une porte aux petits rideaux blancs. On ouvre, et je me trouve dans un parloir, où, entre deux fenêtres, une Vierge est posée sur une sorte d’autel. Aux murs de la pièce, exposée au nord, de la pièce froide et nue, il y a, je ne m’explique pas pourquoi, deux vues du Vésuve encadrées, de malheureuses gouaches qui semblent là, toutes frissonnantes et toutes dépaysées. Par une porte ouverte derrière moi, d’une petite pièce où le soleil donne en plein, il m’arrive des caquetages de sœurs et d’enfants, de jeunes joies, de bons petits éclats de rire, toutes sortes de notes et de vocalisations fraîches : un bruit de volière ensoleillée…

Des sœurs en blanc, à coiffe noire, passent et repassent ; une s’arrête devant ma chaise. Elle est petite, mal venue, avec une figure laide et tendre, une pauvre figure à la grâce de Dieu. C’est la mère de la salle Saint-Joseph. Elle me raconte comment Rose est morte, ne souffrant pour ainsi dire plus, se trouvant mieux, presque bien, toute remplie de soulagement et d’espérance. Le matin, son lit refait, sans se voir du tout mourir, tout à coup elle s’en est allée dans un vomissement de sang qui a duré quelques