Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/89

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Janvier. — Le café Anglais vend par an pour 80,000 francs de cigares. Le cuisinier a un traitement de 25,000 francs. Le propriétaire possède des chevaux, des voitures, des terres. Il est membre du Conseil général de son département. Voilà la grandeur des folies de Paris.

4 janvier. — Feuilleté aujourd’hui les 80 planches de Goya.

C’est le cauchemar de la guerre. Oh ! cette planche terrifique, comme une épouvante rencontrée la nuit, par un clair de lune, au coin d’un bois : un homme empalé à une branche d’arbre, nu, saignant, les pieds contractés de souffrance, l’agonie de sa torture sur la face, et dans le hérissement des cheveux… le bras coupé net, comme un bras cassé de statue…

Et puis, tournez la feuille : des bouches qui crachent la vie, des mourants vomissant le sang sur des cadavres ; et tournez encore la feuille : l’Espagne mendiant, les pieds dans la voirie d’une ambulance…

Le génie de l’horreur, c’est le génie de l’Espagne. Il y a de la torture, de l’inquisition presque, dans les planches de son dernier grand peintre, et dans la morsure de ses eaux-fortes, pour ainsi dire, de la brûlure de ses autodafés.

— À l’heure présente, il y a dans les bals publics quatre fameux danseurs, dont le plus renommé s’appelle Dodoche, et qui est un marchand de papier. Le second est un sculpteur, le troisième un marbrier