Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/57

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— Un rêve, malheureusement pas écrit au saut du lit, et où ne se retrouveront pas les cassures et les effacements en certaines parties de la chose rêvée.

Je savais — comme on sait dans les rêves — que j’étais quelque part dans les environs de Florence. Une campagne très âpre, très durement éclairée, un pays dantesque. Pas une vapeur, pas un brouillard, pas un voile. Des bois faisant des taches noires sur une terre de cendres blanches, des bouquets de verdure sombre se dressant sèchement çà et là. Un paysage du Midi rayonnant jusqu’au fond, et qui avance sur l’œil et marche contre lui, et une ligne courante de monts fauves, collant l’horizon sur une bande de ciel d’un bleu cru.

Je ne me rappelais guère comment j’étais là. Il me semblait que j’y avais été jeté par un coup d’éventail, que j’y étais tombé, comme du balcon d’une loge du théâtre Borgognissanti, et que les épaules d’une statue m’avaient emporté dans les champs.

Et puis, tout à coup, je me trouvais dans une grande fête, un étrange triomphe. Gonflés et joufflus comme des tritons, des éphèbes soufflaient dans de longues buccines, et nous allions toujours, moi, avec eux entraîné, et nous sautions dans notre course folle, je me rappelle, des barrières de lierre.

En chemin, de petits garçons et de petites filles, les cheveux volants et semés de fleurs et d’épis, au dos une écharpe envolée, les mains nouées aux mains d’un seul de leurs dix doigts, enroulaient des danses autour des oliviers, et je sentais qu’il y avait dans l’air